SEMINAIRE
Architectures : une hantologie
Esprits des techniques es-tu là?
Matthias Brissonnaud, architecte, doctorant
Matthias Brissonnaud, architecte, doctorant
JEUDI 2 MAI 9h30 – 12h30
atelier 404
Né en 1993, Matthas Brissonnaud vit à Saint-Étienne et mène une thèse en architecture depuis 2022 en partenariat avec l’École d’Architecture de Paris-Malaquais et l’École Normale Supérieure de Paris. Il suit d’abord une formation initiale en électrotechnique à Chambéry puis sera diplômé de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne en 2020.
Le travail de thèse que mène Matthias Brissonnaud vise à éclairer les relations qui existent entre architecture, pensées techniques et territoires. Par ce travail, il cherche à reformuler les modalités d’exercice de la discipline architecturale, mais aussi à montrer que les outils mobilisés par cette discipline permettent de spécifier et de renouveler une pensée située des techniques. A cette fin, il enquête sur des systèmes techniques inscrits dans une géographie déterminée, la région naturelle du Forez, et il mobilise un corpus de personnages, notamment un certain nombre “d’esprits” qui hantent la philosophe des techniques tels George Canguilhem, Gilbert Simondon ou Bernard Stiegler.
Dans un ouvrage écrit en 1968 intitulé Du mode d’existence des objets techniques, le philosophe Gilbert Simondon développe une pensée philosophique que l’on pourrait qualifier de “philosophie des techniques” en enquêtant sur des objets matériels qu’il qualifie alors d‘objets techniques. A travers ce travail, il cherche à montrer que «[…]pour jouer son rôle complet, la culture doit incorporer les êtres techniques sous forme de connaissance et de sens des valeurs.» Simondon vise ainsi à donner aux objets techniques la place qui, selon lui, leur revient au sein des cultures humaines. Dans sa filiation, le philosophe Bernard Stiegler questionne la bivalence des objets techniques : «ils constituent ce que Socrate appelle des pharmaka – à la fois poison et remèdes (et c’est pourquoi, par son travail, l’Homo faber peut tout aussi bien produire un kosmos que saccager son milieu).» Selon Steigler, les objets et les systèmes techniques se doivent d’être diagnostiqués et les pratiques qui y sont relatives se doivent d’être prescrites par des « systèmes de rationalité » tels que le droit, la science et la philosophie, ou encore, telle est l’hypothèse que propose Matthias Brissonnaud, l’architecture.
Architectures : une hantologie
« Cette logique de la hantise ne serait pas seulement plus ample et plus puissante qu’une ontologie ou qu’une pensée de l’être (…). Elle abriterait en elle, mais comme des lieux circonscrits ou des effets particuliers, l’eschatologie et la téléologie mêmes. Elle les comprendrait, mais incompréhensiblement ».
J. Derrida, Spectres de Marx
« Une fonction de l’hantologie est de continuer à insister sur le fait qu’il existe des futurs au-delà de la ligne terminale de la post-modernité. Quand le présent a abandonné le futur, nous devons écouter les reliques de ce dernier dans les potentiels non activés du passé. Quand le présent a abandonné le futur, nous devons écouter les reliques de ce dernier dans les potentiels non activés du passé ».
Mark Fisher, The Metaphysics of Crackle : Afrofuturism and Hauntology
Architectures : une hantologie pose l’hypothèse d’un rôle devenu central aujourd’hui de la spectralité dans les productions actuelles de l’Art comme dans la pensée contemporaine du projet Architectural. Dans l’histoire des modernités, des spectres n’ont jamais cessé de s’annoncer, de s’infiltrer sous la représentation architecturale pour se manifester aujourd’hui sous des formes singulières d’Images-Fantômes.
Architectures : une hantologie est né d’un désir commun entre artistes-enseignants et architectes-enseignants du domaine FACT-Formes, Arts, Cultures, Techniques – de proposer un séminaire trans-disciplinaire de recherche ouvert à tous (public, étudiants et chercheurs) pour re-visiter et re-panser à nouveau frais le rapport aujourd’hui contesté entre ART et ARCHITECTURE ; entre symptômes et fantômes, ce séminaire, inscrit dans un projet de recherche triennal, se propose avant tout de re-poser les termes de cette relation historique au prisme du concept d’hantologie. A partir du néologisme « Hantologie », Jacques Derrida initie dans un texte de 1993 : Le spectre de Marx, un concept ontologique, trace d’un passé qui nous hante encore, manifestation à la fois visible et imperceptible. Pour Jacques Derrida, la supposée disparition du communisme à la chute du mur de Berlin reste illusoire, et le spectre du communisme hante toujours implicitement les esprits. Dans les années deux mille, le théoricien critique britannique Mark Fisher (K-Punk) élargit ce terme hantologie à la pop-culture, analysant les cultures contemporaines comme hantées par les « futurs perdus » de la modernité ; dans son ouvrage Ghosts of My Life, il examine notamment les champs musicaux et cinématographiques (Joy Division, Stanley Kubrick…) qui mobilisent le passé comme matière brute, à partir d’enregistrements d’archives, pour composer des œuvres qui s’actualisent paradoxalement par les traces du passé.
Architectures : une hantologie reprend à son compte le terme « Hantologie », pour s’inscrire dans les voies ouvertes par Jacques Derrida et Mark Fisher, et ainsi enquêter dans l’émergence de formes actuelles sur les traces d’un passé alien irreconnaissable ; s’invitent à travers les logiques de la hantise, les relations historiques entre les pratiques de l’ART et celles de l’ARCHITECTURE.
Lors des séances du séminaire, praticiens et chercheurs seront ainsi invités à explorer les différents modes de survivances de la modernité passée dans les activités contemporaines architecturales comme dans les pratiques artistiques actuelles. Architectures : une hantologie se construit comme un projet anthologique des formes de Revenances qui convoque théories et pratiques à travers trois dispositifs : Le séminaire – L’exposition – La revue
L’exposition à l’ENSASE du 13 mai au 13 juin, viendra ainsi compléter les séances du séminaire et articuler expériences pédagogiques de l’atelier d’architecture Master EaTcAp avec les axes de recherches et les engagements théoriques propres aux travaux personnels d’artistes, d’architectes et de chercheurs.