SEMINAIRE

Architectures : une hantologie

Autobiographies spectrales

Boris Hamzeian, maître de conférences associés HCA – TPCAU à l’ENSASE

JEUDI 14 MARS 9h30 – 12h30
atelier 404

S’il est vrai, comme le veut Michel Foucault, que l’espace n’est pas une entité vide et cartésienne mais qu’il a sa propre profondeur, sa propre consistance, alors il est légitime de s’interroger à nouveau sur le rôle qu’a joué la pratique de l’architecture dans la construction de notre environnement au cours des cinquante dernières années.
A partir de ce que quelqu’un a défini comme le “tournant sémiologique”, le rôle de l’architecture ne peut plus être réduit à celui de dessiner un plan d’ensemble, de mesurer une distance, de composer une façade ou de couvrir une grande portée. L’architecture devient langage, pour parler et communiquer, et l’espace qui nous entoure commence à être habité par des symboles, des empreintes et des masques qui dissimulent l’autre et l’ailleurs.
Chacun des architectes qui, au cours des cinquante dernières années s’est laissé captiver par les tentations du pouvoir rhétorique de l’architecture, a consciemment ou inconsciemment construit un vocabulaire de formes qui ont poursuivi sa carrière. Ce sont des masques prêts à prendre des significations toujours changeantes d’un projet à l’autre ; ce sont des spectres prêts à injecter dans le projet des fragments et des souvenirs qui racontent des histoires d’autres architectures, d’idéologies et de désirs, de vies passées et d’anticipations futures.
Dans ce qui prend les contours d’une véritable séance de spiritisme, Boris Hamzeian se propose d’appeler à ENSASE trois spectres qui ont habité autant de protagonistes du débat de ce mouvement en architecture entré dans l’histoire sous le nom de postmodernisme. Premier coup : ce sont les formes et les matériaux de la Villa Bai, élue comme projet de passage entre le rationalisme exalté et l’architecture analogue d’Aldo Rossi. Deuxième coup : ce sont les totems érigés par Rem Koolhaas parmi les blocs d’un Manhattan métaphorique qui sert de toile de fond à un globe captif. Troisième coup : ce sont les icônes irrévérencieuses du groupe d’avant-garde UFO, prêtes à remettre en question non seulement le vocabulaire et le langage de l’architecture tels que nous les connaissons, mais aussi les fondements mêmes d’une discipline.

Architectures : une hantologie

« Cette logique de la hantise ne serait pas seulement plus ample et plus puissante qu’une ontologie ou qu’une pensée de l’être (…). Elle abriterait en elle, mais comme des lieux circonscrits ou des effets particuliers, l’eschatologie et la téléologie mêmes. Elle les comprendrait, mais incompréhensiblement ».
J. Derrida, Spectres de Marx

« Une fonction de l’hantologie est de continuer à insister sur le fait qu’il existe des futurs au-delà de la ligne terminale de la post-modernité. Quand le présent a abandonné le futur, nous devons écouter les reliques de ce dernier dans les potentiels non activés du passé. Quand le présent a abandonné le futur, nous devons écouter les reliques de ce dernier dans les potentiels non activés du passé ».
Mark Fisher, The Metaphysics of Crackle : Afrofuturism and Hauntology

Architectures : une hantologie pose l’hypothèse d’un rôle devenu central aujourd’hui de la spectralité dans les productions actuelles de l’Art comme dans la pensée contemporaine du projet Architectural. Dans l’histoire des modernités, des spectres n’ont jamais cessé de s’annoncer, de s’infiltrer sous la représentation architecturale pour se manifester aujourd’hui sous des formes singulières d’Images-Fantômes.

Architectures : une hantologie est né d’un désir commun entre artistes-enseignants et architectes-enseignants du domaine FACT-Formes, Arts, Cultures, Techniques – de proposer un séminaire trans-disciplinaire de recherche ouvert à tous (public, étudiants et chercheurs) pour re-visiter et re-panser à nouveau frais le rapport aujourd’hui contesté entre ART et ARCHITECTURE ; entre symptômes et fantômes, ce séminaire, inscrit dans un projet de recherche triennal, se propose avant tout de re-poser les termes de cette relation historique au prisme du concept d’hantologie. A partir du néologisme « Hantologie », Jacques Derrida initie dans un texte de 1993 : Le spectre de Marx, un concept ontologique, trace d’un passé qui nous hante encore, manifestation à la fois visible et imperceptible. Pour Jacques Derrida, la supposée disparition du communisme à la chute du mur de Berlin reste illusoire, et le spectre du communisme hante toujours implicitement les esprits. Dans les années deux mille, le théoricien critique britannique Mark Fisher (K-Punk) élargit ce terme hantologie à la pop-culture, analysant les cultures contemporaines comme hantées par les « futurs perdus » de la modernité ; dans son ouvrage Ghosts of My Life, il examine notamment les champs musicaux et cinématographiques (Joy Division, Stanley Kubrick…) qui mobilisent le passé comme matière brute, à partir d’enregistrements d’archives, pour composer des œuvres qui s’actualisent paradoxalement par les traces du passé.

Architectures : une hantologie reprend à son compte le terme « Hantologie », pour s’inscrire dans les voies ouvertes par Jacques Derrida et Mark Fisher, et ainsi enquêter dans l’émergence de formes actuelles sur les traces d’un passé alien irreconnaissable ; s’invitent à travers les logiques de la hantise, les relations historiques entre les pratiques de l’ART et celles de l’ARCHITECTURE.

Lors des séances du séminaire, praticiens et chercheurs seront ainsi invités à explorer les différents modes de survivances de la modernité passée dans les activités contemporaines architecturales comme dans les pratiques artistiques actuelles. Architectures : une hantologie se construit comme un projet anthologique des formes de Revenances qui convoque théories et pratiques à travers trois dispositifs : Le séminaire – L’exposition – La revue

L’exposition à l’ENSASE du 13 mai au 13 juin, viendra ainsi compléter les séances du séminaire et articuler expériences pédagogiques de l’atelier d’architecture Master EaTcAp avec les axes de recherches et les engagements théoriques propres aux travaux personnels d’artistes, d’architectes et de chercheurs.