THÈSE

Carla Frick-Cloupet

Architecture langagière : Analyse performative d’une posture architecturale émergente

Carla Frick-Cloupet, diplômée de l’ENSASE a soutenu et obtenu sa thèse le 26 janvier dernier.

Architecture langagière : Analyse performative d’une posture architecturale émergente
mention “Architecture, images, formes” du Doctorat ARTS (UJM / ECLLA / ED484 3LA)

Jury

Anolga Rodionoff , Professeure des universités, Université Jean Monnet, Directrice de thèse
Pierre-Albert Perrillat, Professeur, ENSASE, Co-directeur
Pierre Chabard, Maître de conférences, Docteur, ENSAPLV, Examinateur
Eric Le Coguiec, Professeur, Docteur, Université de Liège, Rapporteur
Frédérique Villemur, Professeure Hdr, ENSAM, Rapporteure

Résumé

Depuis une quinzaine d’années, on voit émerger en Europe des projets dont l’approche esthétique se distingue de la production générale. Ces architectures partagent un goût pour l’ambiguïté, elles jouent avec le vrai et le faux, pour produire des œuvres de miroirs déformants, d’ornements, de trompe-l’œil, et de ready-made qui intriguent et malmènent l’héritage moderne. Les architectes néerlandais Monadnock, les belges Office KGDVS et architecten de vylder vinck taillieu, les français Éric Lapierre et Bruther ou encore les portugais Fala peuvent être cité•es comme des pratiques représentatives de cette émergence. L’objectif de cette thèse est d’interroger comment parler de cette émergence architecturale contemporaine : quelles sont les singularités de cet ensemble de projets, et comment les qualifier ? Il est question de comprendre comment définir cette émergence tant sur le plan méthodologique que sur le plan nominatif : comment s’y prend-on pour qualifier ce corpus, et finalement de quoi parle-t-on ?

La thèse fait l’hypothèse que cette émergence vient questionner le lien entre langage et architecture. Le manifeste Complexity and Contradiction in Architecture écrit par Robert Venturi en 1966 participe à construire cette hypothèse. En effet, ce manifeste tente de qualifier un corpus diachronique d’architecture qui partage avec l’émergence que la thèse interroge son goût pour le trouble et la complexité. Pour y parvenir, Venturi travaille à partir du langage et de ses limites. Il met en place certains outils langagiers particulièrement intéressants comme le « Phénomène du à la fois », qui n’ont de sens que dans un usage situé. Des mots qui s’utilisent, plutôt qu’ils n’arrêtent le sens. Ce constat vient préciser l’hypothèse d’une émergence langagière et nous invite à interroger la relation au langage que révèle le corpus contemporain. Cette relation s’inscrit- elle dans l’héritage de la philosophie du Linguistic Turn, philosophie qui saisit le langage à partir de son contexte d’énonciation plutôt que de son contenu ? Dans cette philosophie, la performativité, concept théorisé par Austin en 1962 dans son livre How to Do Things with Words. The William James Lectures delivered at Harvard University in 1955 , se révèle particulièrement intéressant à développer dans la cadre d’une analyse architecturale. Il est donc question de comprendre si ce corpus contemporain interroge la relation architecture-langage, si cette relation peut être précisée à partir de la philosophie du Linguistic Turn et si cette relation au langage révèle un état contemporain de l’architecture.

La thèse propose donc une analyse performative du corpus, basée sur une exploration à partir des verbes d’action « multiplier », « miroiter », « hybrider », « exhiber » et « exagérer ». Les verbes évitent d’essentialiser ces projets dans des contraintes ou des échelles de projets. A contrario, l’analyse performative met en lien les différents projets par des gestes communs, des postures et des attitudes partagées.

Finalement, ces verbes se réunissent autour d’un intérêt pour le fonctionnement, rendu évident dans le verbe conclusif « fonctionner ». Le fonctionnement de l’architecture, l’usage des bâtiments, et la fonction de l’architecte sont autant de thèmes constitutifs de cette émergence. Le fait que le corpus étudié « fonctionne » rapproche le corpus architectural de ses conditions d’existence et de son contexte. Comme pour le Linguistic Turn, ce corpus contemporain saisit le contexte de ses pratiques comme un contenu architectural. Ici, c’est la manière de faire qui devient le sujet. En cela, le corpus peut être qualifié de Langagier en référence au Linguistic Turn et il démontre bel et bien une évolution dans la relation architecture et langage. Cette évolution langagière produit en réalité un changement de paradigme dans la discipline architecturale. Ce changement explore les fondements épistémologiques de la discipline et notamment la temporalité du projet, le dualisme conception/réalisation et le statut de l’autorialité en architecture.