SÉMINAIRE

Architecture : une hantologie

Un séminaire – Des thématiques

« Cette logique de la hantise ne serait pas seulement plus ample et plus puissante qu’une ontologie ou qu’une pensée de l’être (…). Elle abriterait en elle, mais comme des lieux circonscrits ou des effets particuliers, l’eschatologie et la téléologie mêmes. Elle les comprendrait, mais incompréhensiblement »
J. Derrida, Spectres de Marx

« De l’influence de l’Antique.
Cette histoire est féerique à raconter.
Histoire de fantômes pour grande personnes. »
A. Warburg, Mnemosyne. Grundbegriffe, II (2 juillet 1929)

Architectures : une hantologie est né d’un désir commun entre artistes-enseignants et architectes-enseignants de proposer un séminaire trans-disciplinaire de recherche ouvert à tous (public, étudiants et chercheurs) pour re-visiter et re-panser à nouveau frais le rapport aujourd’hui contesté de l’art et de l’architecture ; entre symptômes et fantômes, ce séminaire, inscrit dans un projet de recherche triennal, se propose avant tout de re-poser les termes de cette relation historique au prisme du concept d’hantologie. Cinq séances du séminaire invitent des praticiens et des chercheurs qui explorent ainsi les différents modes de survivances dans les activités contemporaines architecturales comme de pratiques artistiques actuelles. Ce projet anthologique des formes de Revenances met en oeuvre théorie et pratique à travers d’autres dispositifs : une exposition et une revue, viendront ainsi compléter les séances du séminaire et articuler expériences pédagogiques de l’atelier d’architecture master EaTcAp avec les axes de recherches et les engagements théoriques propres à nos travaux personnels d’artistes, d’architectes et de chercheurs.

Il s’agit d’inaugurer ce séminaire à partir du thème d’Hantologie, concept originellement initié par Jacques Derrida dans un texte de 1993 Le spectre de Marx ; en reprenant le mot « HANTOLOGIE », nous invitons implicitement à revisiter les relations historiques entre ART et ARCHITECTURE à travers les logiques de la hantise. Il ne s’agit évidemment pas de « théoriser » de manière abstraite l’hantologie à l’usage des architectes et des artistes, pour en proposer une grille de pensée et de rabattre un concept philosophiques sur les pratiques artistiques.

Le projet Architectures : une hantologie pose ici l’hypothèse d’un rôle devenu central aujourd’hui de la spectralité dans les productions actuelles de l’Art comme dans la pensée contemporaine du projet Architectural. Dans l’histoire des modernités, comme encore de l’inconscient de la conception architecturale même – le projet -, des spectres n’ont jamais cessé de s’annoncer, de s’infiltrer sous la représentation architectural pour se manifester aujourd’hui dans des formes singulières d’Images-Fantômes.
Il s’agit aussi de donner à voir comment l’art dans ses pratiques en investissant aujourd’hui les motifs de l’architecture dans ses formes archétypales, comme dans ses matérialités emblématiques, produisent des rapports analogiques et fabriquent un imaginaire symptomatique de nos hantises, de nos obsessions mais aussi de nos désirs.

Un projet porté par Pierre-Albert Perrillat (Professeur, Théories et Pratiques de la Conception Architecturale et Urbaine, TPCAU), Rémy Jacquier et Patrick Condouret (Maîtres de conférences, Arts et Techniques de la Représentation – Arts Plastiques et Visuels, ATR-APV).

Ce séminaire est organisé avec l’unité de recherche ECLLA ” Etudes du Contemporain en Littératures, Langues, Arts ” Université Jean Monnet, il fera l’objet d’une publication ultérieure en partenariat avec Créaphis Editions.

  • jeudi 2 mars 2023 à 14h – atelier 404

Spectres

Invité Xavier WRONA, architecte maître de conférences TPCAU – ENSASE

« Évoquer l’hantologie c’est forcément aborder la présence du spectre, à ne pas comprendre dans son sens littéral bien sûr mais dans une idée plus imagée. Prenons le postulat de départ de la dualité du spectre, quelque chose qui relèverait aussi bien de l’absence et de la présence. Qui n’a jamais ressenti dans tel ou tel lieu toute la charge émotive des murs et de leur histoire ? Je me rappelle pour ma part une expérience personnelle dans ma prime jeunesse lors d’une visite du village martyr d’Oradour-sur-Glane où j’ai ressenti confusément toute la souffrance qui habitait encore plus de 70 ans après l’enceinte de l’église où le plus gros du massacre s’est noué. L’hantologie cela pourrait être cela, comme une émergence de souvenirs que nous n’avons pas connus, ce paradoxe de la présence du passé dans le présent. On comprend alors que notre perception du temps n’est pas simplement linéaire mais multiple et fragmentée (1) ».

En physique, nous pouvons définir un spectre comme l’apparence de la lumière émise par un corps lorsqu’elle est dispersée par un prisme, ce qui permet d’analyser les radiations qui la composent. Un spectre est aussi l’apparition fantastique d’un mort, ou encore la représentation effrayante d’une idée ou d’un évènement.

Au cours des années 1960 nous avons assisté à la dématérialisation de l’art, l’idée prime sur la matière dans l’art conceptuel. Aujourd’hui faisons-nous face à la matérialisation de l’invisible ?
Des oeuvres telles que Water Tower (1998) ou encore Embankment (2005) de l’artiste Rachel Whiteread, revêtent une forme tangible, le vide se matérialise en traces visibles du passé et évoquent la notion de mémoire, fondement même de tout art. En termes de matérialités, l’utilisation de la résine, matériau translucide, ainsi que le plâtre donnent aux œuvres une dimension spectrale.
« En donnant épaisseur, poids et un volume tangible à des volumes d’air qu’elle choisit, Rachel Whiteread nous fait toucher l’intouchable, l’incorporel, qui finalement se matérialise, se sublime en forme, en corps (2) ».

Si, dans cette perspective hantologique, ce n’est donc plus l’art qui se rend invisible ou immatériel mais l’invisible qui devient art, qu’en est-il de l’architecture ? Quels spectres matériels, théoriques ou politiques viennent hanter les pratiques et pensées de l’architecture ?

1 – Benzine, Webzine d’essence culturelle
2 – La solidification du vide de Rachel Whiteread : l’invisible se matérialise, Pamela Bianchi, Marges, revue d’art contemporain, 2014.